Dans la famille "métiers qui visent une utopie", je voudrais l' "enseignant". Dans le genre rêveur pas réaliste, on ne peut pas faire mieux. Quelle profession fragile, naïve, courageuse, solitaire!!
Telle une balance, elle vacille prête à chuter tout ça parce qu'elle ne repose sur rien excepté l'espoir. L'enseignant (en général) croit. Il croit en l'homme, il croit aux progrès et l'élévation, au respect, au partage, à l'équité, à l'intégrité, à l'éthique, à la solidarité, à la santé, à la culture, à l'écologie, à la différence. Je ne mets pas ici l'enseignant sur un piédestal. Mais la question soulevée est de savoir s'il s'agit de la prétention ou de naïveté? Un professeur pense-t-il être parfait, bon et une référence pour la société ou simplement fou et malheureux? Croire suffit-il pour mener à bien son entreprise? L'enseignement n'est-il pas finalement une cause perdue? Le sujet est intarissable et mes questions envahissantes.
Une société sans Ecole est selon moi, vouée à l'échec si elle veut assurer sa pérennité, sa cohésion, sa force. L'Ecole n'est pas uniquement transmissive, nourricière mais aussi une sentinelle, protectrice, luttant contre toute menace. Elle n'apporte pas seulement des connaissances qui permettent à la société de s'élever intellectuellement ou techniquement, elle permet de s'élever humainement. L'Ecole est un garde fou guidant et défendant les êtres vers ce qui semble bon pour eux. Etre enseignant est une affaire d'abnégation, c'est sauvegarder des idéaux, des convictions en acceptant la part inaliénable des autres. La prétention n'est qu'une dérive très séduisante, souvent présente mais jamais conséquente.
Un enseignant qui ne croit pas, jette l'éponge. Ne plus croire, c'est ouvrir une brèche au laxisme, aux extrémismes, à la discrimination, aux conflits, à l'autoritarisme, aux pulsions les plus primaires. La mission d'un enseignant est énorme et fastidieuse tellement les enjeux sont essentiels pour une société. Or, à l'heure actuelle et plus que jamais, il est à contre courant. Personne ou si peu le suit dans sa démarche. Les valeurs de l'Ecole disparaissent, englouties par celle de la mondialisation. Les français se sont laissés corrompre, emmener, envahir par cette illusion de liberté. Comment lutter en classe contre le consumérisme, le zapping, la violence, l'efficience, le technicisme, la performance, l'individualisme? Des dizaines d'exemples quotidiens pourraient illustrer mes propos. La société évolue à une vitesse vertigineuse et je ne sais pas y faire face à mon échelle, dans une classe de CM2. Je crois aux changements mêmes minimes mais pour combien de temps? Pourquoi ai-je déjà le sentiment de ne servir à rien, de mettre des pansements qui ne collent pas. Chaque jour en classe, j'inculque des idéaux auxquels les hommes croient profondément mais qui ne s'appliquent peu ou prou à l'extérieur de l'école. Comment être crédible? Comment se mesurer au monde? Etre enseignant, c'est s'engager à être malheureux, différent, lucidement naïf et terriblement seul.
Nous formons de futurs monstres, leurs parents ne nous suivent déjà plus et l'Etat, alors seul soutien de taille jusqu'à lors nous abandonne ou plutôt nous oblige à le suivre. Le sentiment de solitude n'aura jamais été plus réel que maintenant. Le gouvernement propose tout le contraire de ce dont on a besoin. Le rouleau compresseur progresse, progresse...
J'ai mal.